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Les héros puent (Way of the Samurai 3)

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Quand ils ne sont pas trop occupés à me tirer la langue ou à fuir en pleurant, les gamins du village m’accablent de questions. Est-ce que je vais tuer leurs parents ? Quelle est la plus grande qualité du samouraï ? Pertinents petits braillards, je ne sais pas leur répondre. Egoïste, soiffard, goulu, souvent veule, emporté, résigné à son sort, pusillanime et peureux, mais aussi parfois – plus rarement —  courageux à l’excès, fidèle, ou peut-être même aimant…  Le samouraï n’est jamais qu’un humain avec une épée. Celle-ci suffit néanmoins à  faire de lui une figure tragique. Qui vit par le glaive…

A sa manière, Way of the Samurai 3 est un jeu-samouraï : tout son tranchant tient à sa narration interactive. Est-ce suffisant pour aiguiser l’intérêt du joueur ?

Passé la création d’un avatar, plaisant jeu de poupée malgré des options initialement plutôt limitées, les premiers instants peuvent déconcerter : le joueur se retrouve transporté au seizième siècle, où un rônin à peine réchappé d’une bataille se réveille dans un village misérable, découvre les luttes d’influence qui déchirent la région, et tente de peser sur la situation. S’il en a le temps. Une mauvaise rencontre est vite arrivée, et en cas de mort, à moins de recharger (mais ce nigaud de débutant n’a pas encore compris où sauvegarder), il faut recommencer la partie. Ces premiers tâtonnements sont nécessaires : Shinji, Ichi ou Takeshi meurent successivement, mais le trésor de guerre et l’expérience qu’ils ont accumulés demeurent, permettant à un quatrième larron de débuter son éphémère existence avec un petit pactole : la réincarnation au service du capital, qui irait s’en plaindre ? A mesure qu’il accumule les expériences désastreuses, et qu’il paye la taxe du gamer en répétant des missions secondaires peu intéressantes mais lucratives, le joueur commence à mieux saisir les subtilités de Way of the Samurai 3, et peut commencer à donner de la voix.

Encore faut-il que la réalisation ne l’ait pas fait fuir vers de plus vertes terres. Acquire (la série Tenchu) est un solide studio, mais le budget est limité, et l’on connaît les difficultés des japonais sur consoles HD. Il faut bien avouer que WoS 3 est un jeu spartiate : misère des paysans, famine de polygones. Les décors peu nombreux, pauvres, font penser aux matinées scolaires d’un théâtre de grande banlieue ; les extérieurs sont minuscules, les intérieurs trop vides, même au pays du minimalisme zen. Le système de combat, visiblement travaillé, repose trop sur d’hasardeux contres pour offrir un plaisir immédiat ; la progression du personnage est grevée par un système d’améliorations aléatoires plus pénible qu’autre chose ; la progression enfin manque de clarté : le récit avance en déclenchant des scènes indiquées sur la carte, mais les conditions de leur apparition sont parfois peu évidentes. Malgré l’étroitesse du décor, on passe beaucoup trop de temps à chercher les interrupteurs permettant d’activer les scripts. Tout fonctionne, mais manque de finition et de chair. Le jeu n’a ni les moyens de ses ambitions, ni tout à fait le génie de faire avec.

Les acteurs sont de marbre, et les décors tristes, mais on serait bien en peine de sabrer les dialogues, qui claquent, secs et inspirés. Le tragique est sans doute assez classique par rapport aux attentes du genre samouraï. Mais le guerrier n’est pas épargné, il est couvert de boue avec une belle obstination : la guerre est un jeu sale, les héros sont puants. Belle hargne de plume. Que ce soit dans la bouche des enfants ou des adultes, la figure du samouraï est malmenée, l’héroïsme mis en doute, la hiérarchie sociale et la violence vigoureusement ridiculisées. Il faut dire que la galerie de personnages brille plus par sa bassesse que par sa grandeur, petits officiers désireux d’être bien vus par le chef, bandits posant en libérateurs… On en vient à souhaiter comme le chef du village que les samouraïs disparaissent, et que la houe remplace le katana. Cette vision pessimiste (ou faut-il dire réaliste ?) n’exclue pas quelques personnages idéalistes, tentant contre vents et marées de rester fidèle à des valeurs d’honneur : que celles-ci soient pourries à l’imaginaire et couvertes d’hypocrisie ne fait renforcer le tragique de la situation.  Le bon samouraï n’est bon qu’à mourir pour défendre un mythe vide de sens.

Pris dans ce marigot, le personnage-joueur a évidemment son mot à dire, et les actions qu’il entreprend font pencher la balance dans un sens ou un autre. Avec plus de vingt fins possibles, le jeu encourage à explorer ses embranchements narratifs. Une fois que le joueur a acquis un peu d’expérience, une partie peut se finir en moins de deux heures, ce qui permet d’expérimenter des décisions radicalement opposées, et de découvrir l’histoire de plusieurs perspectives. En multipliant les parties et les choix, Way of the Samurai 3 est un jeu véritablement polyphonique, qui non seulement multiplie les voix, mais laisse au joueur une marge de manœuvre : contrairement à un Bioshock ou un  Alan Wake qui laisse le joueur en position de spectateur, le jeu d’Acquire fait de celui-ci un protagoniste essentiel, c’est-à-dire réellement actif. Il constituerait un parfait exemple de narration réellement interactive, dont je promettais de parler en réponse à un article de Sachka, avant de lâchement passer à autre chose.

Du moins ce serait le cas si WoS 3 ne restait pas quelque peu empêtré dans sa gestion du choix. J’ai déjà évoqué le caractère un peu capricieux des scripts, et le temps perdu à remplir des tâches anodines. Si la première partie achevée m’a pleinement satisfait, le final tragique jusque la dernière décision faisant passer sur mon échine un beau frisson, à mesure que je reprends le jeu pour essayer de trouver d’autres fins, l’aspect arbitraire de certaines conséquences, les ellipses narratives pas toujours justifiées me gênent de plus en plus. Peut-être le tragique s’épuise-t-il à force d’être rejoué pour trouver une fin  « satisfaisante », ou bien la répétition de certaines scènes (qu’on peut heureusement passer) finit-elle par lasser. La structure générale du jeu, qui dépend beaucoup de l’utilisation de la carte et d’allers-retours pénibles, est peut-être pour quelque chose dans l’envie de poser le pad. On imagine cependant qu’avec un peu plus de poli, c’est-à-dire de budget, le jeu-dont-vous-êtes- le-héros façon Acquire est une voie à explorer. A cet égard il semblerait que le premier WoS, sur Playstation 2 soit une expérience plus dense et mieux contrôlée , mais je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de l’essayer.

Way of the Samurai 3 est en tout cas une curiosité pour les amateurs de narration interactive. On y passe agréablement une dizaine d’heures, et l’écriture justifie à elle seule que l’on s’intéresse au titre, notamment à présent qu’il se trouve à petit prix. Imparfait, souvent maladroit, manquant peut-être de courage pour aller jusqu’au bout de son concept, le jeu d’Acquire n’en demeure pas moins une agréable surprise : un jeu pacifiste, tragique et mordant, voilà qui change des habituelles odes à la testostérone qui répandent leurs effluves sur les consoles HD.

Les héros puent (Way of the Samurai 3)

 

Quand ils ne sont pas trop occupés à me tirer la langue ou à fuir en pleurant, les gamins du village m’accablent de questions. Est-ce que je vais tuer leurs parents ? Quelle est la plus grande qualité du samouraï ? Pertinents petits braillards, je ne sais pas leur répondre. Egoïste, soiffard, goulu, souvent veule, emporté, résigné à son sort, pusillanime et peureux, mais aussi parfois – plus rarement — courageux à l’excès, fidèle, ou peut-être même aimant… Le samouraï n’est jamais qu’un humain avec une épée. Celle-ci suffit néanmoins à faire de lui une figure tragique. Qui vit par le glaive…

A sa manière, Way of the Samurai 3 est un jeu-samouraï : tout son tranchant tient à sa narration interactive. Est-ce suffisant pour aiguiser ton intérêt ?

 

Passé la création d’un avatar, plaisant jeu de poupée malgré des options initialement plutôt limitées, les premiers instants peuvent déconcerter : le joueur se retrouve transporté au seizième siècle, où un rônin à peine réchappé d’une bataille se réveille dans un village misérable, découvre les luttes d’influence qui déchirent la région, et tente de peser sur la situation. S’il en a le temps. Une mauvaise rencontre est vite arrivée, et en cas de mort, à moins de recharger (mais ce nigaud de débutant n’a pas encore compris où sauvegarder), il faut recommencer la partie. Ces premiers tâtonnements sont nécessaires : Shinji, Ichi ou Takeshi meurent successivement, mais le trésor de guerre et l’expérience qu’ils ont accumulés demeurent, permettant à un quatrième larron de débuter son éphémère existence avec un petit pactole : la réincarnation au service du capital, qui irait s’en plaindre ? A mesure qu’il accumule les expériences désastreuses, et qu’il paye la taxe du gamer en répétant des missions secondaires peu intéressantes mais lucratives, le joueur commence à mieux saisir les subtilités de Way of the Samurai 3, et peut commencer à donner de la voix.

Encore faut-il que la réalisation ne l’ait pas fait fuir vers de plus vertes terres. Acquire est un solide studio, mais le budget est limité, et l’on connaît les difficultés des japonais sur consoles HD. Il faut bien avouer que WoS 3 est un jeu spartiate : misère des paysans, famine de polygones. Les décors peu nombreux, pauvres, font penser aux matinées scolaires d’un théâtre de grande banlieue ; les extérieurs sont minuscules, les intérieurs trop vides, même au pays du minimalisme zen. Le système de combat, visiblement travaillé, repose trop sur d’hasardeux contres pour offrir un plaisir immédiat ; la progression du personnage est grevée par un système d’améliorations aléatoires plus pénible qu’autre chose ; la progression enfin manque de clarté : le récit avance en déclenchant des scènes indiquées sur la carte, mais les conditions de leur apparition sont parfois peu évidentes. Malgré l’étroitesse du décor, on passe beaucoup trop de temps à chercher les interrupteurs permettant d’activer les scripts. Tout fonctionne, mais manque de finition et de chair. Le jeu n’a ni les moyens de ses ambitions, ni tout à fait le génie de faire avec.

Les acteurs sont de marbre, et les décors tristes, mais on sera bien en peine de sabrer les dialogues, qui claquent, secs et inspirés. Le tragique est sans doute assez classique par rapport aux attentes du genre samouraï. Mais le guerrier n’est pas épargné, il est couvert de boue avec une belle obstination : la guerre est un jeu sale, les héros sont puants. Belle hargne de plume. Que ce soit dans la bouche des enfants ou des adultes, la figure du samouraï est malmenée, l’héroïsme mis en doute, la hiérarchie sociale et la violence vigoureusement ridiculisées. Il faut dire que la galerie de personnages brille plus par sa bassesse que par sa grandeur, petits officiers désireux d’être bien vus par le chef, bandits posant en libérateurs… On en vient à souhaiter comme le chef du village que les samouraïs disparaissent, et que la houe remplace le katana. Cette vision pessimiste (ou faut-il dire réaliste ?) n’exclue pas quelques personnages idéalistes, tentant contre vents et marées de rester fidèle à des valeurs d’honneur : que celles-ci soient pourries à l’imaginaire et couvertes d’hypocrisie ne fait renforcer le tragique de la situation. Le bon samouraï n’est bon qu’à mourir pour défendre un mythe vide de sens.

Pris dans ce marigot, le personnage-joueur a évidemment son mot à dire, et les actions qu’il entreprend font pencher la balance dans un sens ou un autre. Avec plus de vingt fins possibles, le jeu encourage à explorer ses embranchements narratifs. Une fois que le joueur a acquis un peu d’expérience, une partie peut se finir en moins de deux heures, ce qui permet d’expérimenter des décisions radicalement opposées, et de découvrir l’histoire de plusieurs perspectives. En multipliant les parties et les choix, Way of the Samurai 3 est un jeu véritablement polyphonique, qui non seulement multiplie les voix, mais laisse au joueur une marge de manœuvre : contrairement à un Bioshock ou un Alan Wake qui laisse le joueur en position de spectateur, le jeu d’Acquire fait de celui-ci un protagoniste essentiel, c’est-à-dire réellement actif. Il constituerait un parfait exemple de narration réellement interactive, dont je promettais de parler en réponse à un article de Sachka, avant de lâchement passer à autre chose.

Du moins ce serait le cas si WoS 3 ne restait pas quelque peu empêtré dans sa gestion du choix. J’ai déjà évoqué le caractère un peu capricieux des scripts, et le temps perdu à remplir des tâches anodines. Si la première partie achevée m’a pleinement satisfait, le final tragique jusque la dernière décision faisant passer sur mon échine un beau frisson, à mesure que je reprends le jeu pour essayer de trouver d’autres fins, l’aspect arbitraire de certaines conséquences, les ellipses narratives pas toujours justifiées me gênent de plus en plus. Peut-être le tragique s’épuise-t-il à force d’être rejoué pour trouver une fin « satisfaisante », ou bien la répétition de certaines scènes (qu’on peut heureusement passer) finit-elle par lasser. La structure générale du jeu, qui dépend beaucoup de l’utilisation de la carte et d’allers-retours pénibles, est peut-être pour quelque chose dans l’envie de poser le pad. On imagine cependant qu’avec un peu plus de poli, c’est-à-dire de budget, le jeu-dont-vous-êtes- le-héros façon Acquire est une voie à explorer. A cet égard il semblerait que le premier WoS, sur Playstation 2 soit une expérience plus dense et mieux contrôlée : je te fais signe si j’ai l’occasion de l’essayer.

Way of the Samurai 3 est en tout cas une curiosité pour les amateurs de narration interactive. Tu y passeras bien une dizaine d’heures, et l’écriture justifie à elle seule que tu t’intéresses au titre, notamment à présent qu’il se trouve à petit prix. Imparfait, souvent maladroit, manquant peut-être de courage pour aller jusqu’au bout de son concept, le jeu d’Acquire n’en demeure pas moins une agréable surprise : un jeu pacifiste, tragique et mordant, voilà qui change des habituelles odes à la testostérone qui répandent leurs effluves sur les consoles HD.

 

 

Question du choix

 

Problèmes techniques : décor pauvre, un rien mité, de théâtre pour matinées scolaires. Combats émoussés, désarroi général de l’interface, qui rend la pratique du jeu souvent déroutante.

 

« Réincarnation » = intéressant MAIS

Taxe du joueur : à la manière de jeux systèmes il faut commencer par se forger une arme suffisante. Le plaisir n’est pas assez vif, le système pas assez fascinant pour qu’on se laisse piéger. Crée une déconnexion. En ce sens maladresses du jeu. Cela dit reste jouable.

 

Qualité de l’écriture : les acteurs sont de marbre et les décors tristes, mais les dialogues claquent, secs, inspirés. Enfants, petites mesquineries, monde humain.

 

Mais quelle place a le joueur dans la narration ? Système de choix multiples intéressant mais bancal ; manque une couche de vernis.

 

Written by Martin Lefebvre

23 mars 2011 à 14:23

5 Réponses

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  1. Bon eh bien, j’ai acheté le jeu et mon intérêt premier était justement cette fameuse narration interactive. Alors ce papier me conforte pas mal!

    Numerimaniac

    23 mars 2011 at 21:29

  2. Le jeu est un peu dur d’accès au départ, et manque clairement de finitions, mais ça vaut tout de même le coup d’oeil. En plus les voix jap’ sont dispos, que demande le peuple ?

    J’aimerais vraiment choper le premier qui a l’air de se dérouler sur un seul jour, dans un décor plus resserré…

    Martin Lefebvre

    23 mars 2011 at 22:35

  3. Ah l’unité temps et lieu ! Crysis 2 le fait bien 😉

    Très chouette le papier! J’hésitais a me le procurer, je n’hésite plus ! Merci.

    Steph

    26 mars 2011 at 13:18

  4. Il se trouve assez facilement à moins de 20 euros en ligne. Il vaut pas forcément beaucoup plus sauf si on tombe amoureux, mais à ce prix, foncez les petits merlans !

    Martin Lefebvre

    26 mars 2011 at 15:59

  5. […] si mon problème ne date pas d’hier, c’est avec Way of the Samurai 3 qu’il m’a sauté aux yeux. Le principe du jeu consiste à débloquer la vingtaine de fins […]


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