Devant ton écran

Divine enfance (Minecraft)

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Un nouveau jeu est arrivé dans la ville. La rumeur enfle depuis quelques mois, les images, les récits, les vidéos se multiplient, comme se développe une colonie de bactéries. En Suède, des serveurs explosent sous la curiosité mondiale, et un homme surnommé Notch devient millionnaire. Dans une ville où règnent Halo : Reach et bientôt Gran Turismo 5, il se produit un phénomène nouveau, qui de proche en proche gagne à la fièvre. Ce phénomène a un nom, ce nom c’est Minecraft, 340000 licences vendues à ce jour.

Il est rare de trouver aujourd’hui une telle immédiateté dans un jeu qui n’est même pas terminé, et dont il manque des éléments essentiels. L’interface à moitié achevée, le multi à peine esquissé, Minecraft se dégage pourtant avec la parfaite assurance qui caractérise les jeux fondateurs. Pour un peu on se pincerait en se demandant si l’on n’est pas revenu dans les années 80, à l’époque où naissaient les formes à foison. Mais non, Minecraft est un jeu de son temps, distribué sur le net, utilisant la puissance des machines modernes pour créer un monde ouvert. Pourtant, il constitue un seuil peut-être sans équivalent depuis GTA III. Fascination supplémentaire, son développement se déroule sous nos yeux : la version Alpha progresse toutes les semaines (même si ce modèle semble avoir récemment changé), le blog de développement de Notch nous  informe presque en temps réel sur l’avancement du projet, sur la création du studio de développement grâce au succès… Calculée ou non, cette ouverture est d’une grande efficacité dans le domaine du marketing, puisque la communauté se sent impliquée, fière du succès de son poulain, d’autant qu’elle participe viralement à ce succès, les joueurs validant par leurs propres créations, qu’ils s’empressent évidemment de partager, l’intérêt éminent du produit. Ce phénomène n’est pas nouveau, il a notamment été utilisé par des séries aussi diverses que Forza Motorsports (les livrées de voitures), Halo (Forge, les screenshots partagés…), ou Little Big Planet… Mais avec Minecraft, l’effet levier est d’autant plus impressionnant qu’il s’agit d’un jeu indépendant codé par un seul programmeur totalement inconnu il y a de cela six mois à peine. Simple effet de mode à l’heure de l’internet 2.0 ? Loin de là.

Minecraft est soutenu par l’enthousiasme de ses fans qui entretiennent un avide bouche à oreille.

Minecraft est avant tout un brillant hybride : le jeu vidéo possédant de puis des années un paradigme génétique suffisamment vaste, l’innovation consiste principalement  à recombiner de manière novatrice les gènes déjà créés.  Dans ce cas précis, une influence prédomine : Notch avoue  s’être inspiré de Dwarf Fortress, auquel il emprunte notamment l’association de la survie au jeu de  construction dans un univers où tout l’espace est modifiable. Mais contrairement au work in progress de Toady, chef d’œuvre baroque, folie mathématique qui se refuse toute limite et qu’entrave l’obscurité d’une interface malade, Minecraft a été pensé accessible. Les contrôles se résument à ceux d’un FPS, et ce que je peux toucher, je peux d’un simple clic le modifier, il y a du god –game là dedans, au ras du sol.

Dwarf Fortress, le grand frère un peu autiste

Coup de génie, au lieu de chercher le photo-réalisme typique des open-worlds (on reproduira New York ou Venise, Paris ou Londres…), Notch utilise la puissance de calcul pour créer un monde de cubes, gigantesque, aléatoire, fascinant…  Et entièrement modifiable. Au lieu de multiplier les pixels au service d’un pur paraître, le jeu utilise les blocs élémentaires pour produire un terrain d’intervention, de manipulations infinies. La simplicité des briques élémentaires n’empêche d’ailleurs pas la beauté des panoramas, étranges paysages de pixel-art.

Le point de vue interne, quant à lui, contribue à l’immersion, et Minecraft fait ainsi appel aux vieux démons de l’exploration. Errant dans les couloirs de grottes immenses et tortueuses, tu éprouveras la tension entre la peur du noir et le désir d’aller voir un peu plus loin, comme dans Ultima Underworld et tous les dungeon-crawlers ... C’est peut-être un des aspects les plus fascinants des premières heures de jeu en mode survival : le joueur traverse des moments d’effroi et de pures épiphanies, alternant panique de la bête traquée et joie de l’inventeur de trésors, angoisse des profondeurs et vertige des sommets. Le tout clair comme de l’eau de roche.

Tu apparais un beau matin au milieu d’un décor tourmenté et ensoleillé, sorte de Baie de Halong en blocs, hallucination paysagère de crevasses et de pains de sucres générés aléatoirement. Avant le coucher du soleil, tu auras abattu quelques arbres, fabriqué tes premiers outils, creusé un abri rudimentaire, et tu te seras barricadé en prenant soin de semer les alentours de torches pour repousser les zombies et leurs longs feulements assourdis dans la nuit… Et puis tu creuseras le mur du fond de ta grotte, et tu découvriras un vaste réseau de grottes, et tu seras pris de vertige. Tes premiers pas seront hésitants, puis tu arpenteras les couloirs interminables, scellant les embranchements que tu auras chois de négliger, plantant à intervalles réguliers des torches pour chasser l’obscurité et les zombies. Des crevasses t’ouvriront une perspective sur  les dessous riches en lave et en minerais et tu creuseras toujours plus profond, improvisant de maladroits escaliers. Tu remonteras à la surface, explorer les vastes étendues accidentées le jour, revenant les bras chargés de cuir et de bois, de laine et de graines…

Et tu replongeras en quête d’or et de diamant.

Peut-être qu’à un moment, au fond de ta mine, en plein front de taille tu seras étreint par l’angoisse des profondeurs. Tu imagineras claustrophobiquement des flots de lave se déverser sur toi après un coup de pioche imprudent, la chute mortelle, et tu remonteras presque en apnée dans les étroits couloirs creusés de ta pioche dans la roche, et tu sentiras les murs se refermer sur toi… Peut-être même oublieras-tu un moment que tu es devant ton écran, face à de gros blocs de pixels…

L’angoisse des profondeurs

Mais l’appel des abysses et des trésors qu’elles renferment sera plus fort, et tu repartiras.

A la surface, un autre jeu t’attend, l’extension de tes terres, l’érection de folies, villas en quasi apesanteur, forteresses de sable, routes de verre… les plus extravagants châteaux en Espagne n’attendent que ton bon vouloir, tout comme les intérieurs cosy, les nids douillets. Le décor est une toile où peindre tes désirs.

Là où il y a jeu, c’est dans l’incessante tension entre cette volonté d’expansion créatrice ou spatiale, et les nécessités de la survie : se défendre contre les monstres nocturnes, extraire les ressources nécessaires à la construction.

Zeus enfant échappa par la ruse de sa mère Rhéa à l’appétit de son père Cronos, qui souhaitait l’engloutir afin de conserver pour lui seul le pouvoir divin, et s’enfuit en Crète où il vécut caché en attendant de pouvoir défier son géniteur. On raconte qu’il vivait dans une grotte du mont Ida ; mais peut-être le  futur roi de l’Olympe était-il tout simplement en train de s’entraîner à son rôle de dieu suprême, en jouant à Minecraft. Tout t’invite à l’imiter, et à démêler l’ordre du chaos, à inventer le paysage de ta divine enfance.

Written by Martin Lefebvre

6 octobre 2010 à 11:10

18 Réponses

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  1. Merci pour cet article très plaisant à lire de bout en bout.
    Je venais pour en savoir un peux plus sur ce Minecraft (auquel le « consoleux » que je suis ne jouera certainement jamais d’ailleurs), et je suis reparti avec mon lot d’informations et un très agréable moment de lecture.
    Bravo et encore merci !

    ippo

    6 octobre 2010 at 13:02

    • Je pense pas que Minecraft soit si gourmand que cela, il tourne sans problème sur mon portable, même si c’est plus confortable sur le PC de jeu… C’est d’ailleurs une raison de son succès.

      Après, soyons fous, une fois le jeu sorti en version définitive, y’a pas grand chose qui s’opposerait à une version console, niveau contrôles en tout cas… Bon, il faudrait peut-être limiter la taille des mondes…

      Apparemment Notch a rencontré des gens de chez Valve cet été, et il a beaucoup de fans chez les dév, il trouverait sans doute des appuis s’il voulait un port un peu plus tard… Y’a même un mod L4D pour Minecraft en travaux… http://www.rockpapershotgun.com/2010/10/06/left-4-minecraft-blocky-modding/

      Martin Lefebvre

      6 octobre 2010 at 14:04

  2. Merci pour l’info ! A suivre donc 😉

    ippo

    7 octobre 2010 at 07:38

    • Attention, j’ai aucune info, hein, je dis juste que ce serait faisable dans l’absolu. Après le jeu est codé en Java, je sais pas comment ce serait transférable… Mais vu le succès délirant, y’aurait pas de raison de se priver du public console, d’autant plus que tu peux être sûr que plein de développeurs qui flairent la tune sont en train de préparer des clones…

      Martin Lefebvre

      7 octobre 2010 at 12:35

      • Non non pas de méprise de ma part.
        Plutôt qu’une « info », parlons d’une « supposition » au sujet d’un éventuel portage / pompage de concept sur console.
        Le terme « info » était mal choisi… Désolé !

        « Merci pour cette supposition ! A suivre (?) donc « 

        ippo

        7 octobre 2010 at 13:58

  3. Je me le suis pris, en grand fou. Et pour une fois que je joue à un jeu pas encore sorti en version définitive… 🙂
    Je n’ai pas eu le temps de faire grand chose, si ce n’est m’emmurer pour survivre la nuit. Là, j’explore les capacités de créations, comme les différentes objets que l’on peut combiner pour créer des outils etc. J’essaie de créer des torches, ce serait bien.

    Numerimaniac

    10 octobre 2010 at 15:37

  4. Vu que le jeu ne propose ni tooltips ni aide, je pense que la consultation de http://www.minecraftwiki.net/wiki/Main_Page s’impose.

    Je suis d’ailleurs pas fan de la manière dont fonctionne le craft. Enfin le côté gestion des ressources marche bien, mais l’interface avec la grille est un peu lourdingue à mon goût…

    Martin Lefebvre

    10 octobre 2010 at 16:14

  5. Rhaaa stop!
    D’abbord le nom de Minecraft qui figure sur tous les blogs de jeux
    Ensuite des vidéos de tutorial carrément alléchante
    Ensuite cet article qui donne envie de se jeter sur Minecraft de façon irraisonnée…

    Je n’ai pas le temps pour ça! Je n’ai pas le temps de m’atteler à un jeu de cet envergure! Je vais encore rien y comprendre et il me faudra des mois pour enfin en saisir les bases.

    Et pourtant je vais le faire! je vais m’offrir Minecraft, et je vais passer dessus toutes mes nuits à venir…

    Je t’en veux terriblement!

    Pierrec

    11 octobre 2010 at 07:16

  6. Moi aussi j’étais sceptique devant toute la hype, et puis je me suis mis à lurker de plus en plus les fils dans lesquels les gens postaient leurs réalisations… Puis j’ai fini par craquer et c’est vraiment un jeu fascinant… Je suis sincèrement convaincu que c’est un des softs les plus innovants de ces dernières années.

    Après j’y ai même pas encore joué tant que ça… Largement assez pour que mes 10 euros soient rentabilisés, mais pas obsessivement. J’ai limite peur de me faire happer. Le côté construction c’est presque plus pour moi, j’ai plus tout à fait l’énergie. J’admire ce que font les autres et je me contente d’un petit jardin barricadé à l’arrache et d’une mine même pas très profonde….

    Mais je me suis pris des coups de stress violent en y jouant, la peur des profondeurs comme je raconte…

    Et limite je prends comme souvent plus de pied à étudier le jeu, le phénomène qu’à m’y plonger, sans doute parce que j’ai pas l’énergie disponible. Je joue à Asscreed 2 à la place, c’est super plus reposant, je consomme l’open world au lieu de l’habiter vraiment…

    Martin Lefebvre

    11 octobre 2010 at 10:00

  7. […] Oh, moi, j’en suis encore au début. Tu parles, j’explore des cavernes, j’en suis à peine mes premiers lingots d’or et je viens seulement de découvrir un filon de pierre rouge. Ma maison troglodyte est un vrai chantier, je viens juste de finir d’installer une baie vitrée, et ce n’est même pas lambrissé. Mais il y en a qui font des choses réellement admirables avec Minecraft. Comme ailleurs sur le web francophone ils en sont encore à se demander s’il faut parler du phénomène, laisse-moi te montrer quelques unes des réalisations les plus folles. […]

  8. Bravo pour ton excellent texte.
    Très belle découverte que ce Minecraft.

    Nicolas

    15 octobre 2010 at 10:08

  9. Merci merci, mais j’ai pas autant de mérite : c’est pas une découverte Minecraft, le web anglophone ne parle que de ça depuis juillet, c’est juste que les gros sites français sont un peu lents…

    Martin Lefebvre

    15 octobre 2010 at 10:11

    • Je suis moi aussi un peu lent et pas toujours dans l’actu chaude.
      Incroyable les écarts conceptuels du jeu vidéo aujourd’hui, entre next-gen et expériences vidéoludiques.
      Je n’aime pas Un jeu vidéo en particulier, j’aime LE jeu vidéo dans son ensemble. Minecraft semble être une bonne illustration de cette idée.

      Nicolas

      15 octobre 2010 at 10:20

  10. […] d’actualité vidéoludique français (Gamekult, Jeuxvidéo.com, Gameblog…) sur le phénomène Minecraft, 610.000 comptes vendus à ce jour, succès époustouflant pour le travail d’un seul créateur, […]

  11. […] « Divine enfance (Minecraft) », un texte de Martin Lefebvre dans son […]

    Cairn digital (Minecraft)

    1 décembre 2010 at 21:15

  12. c’est comme même mieux que le vieux jeux auqu’elle tu fait référence

    yannstr

    5 avril 2011 at 18:12

    • Certes >_<

      Martin Lefebvre

      5 avril 2011 at 18:40

      • moi je suis assais dacc’or avec lui :3

        Pierrec

        5 avril 2011 at 19:34


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