Devant ton écran

Tutorial

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vintagecomputer

Ca a commencé par des circuits imprimés, à l’air libre, transistors et un bureau poussiéreux des câbles s’emmêlaient entre les composants piquetés de résistances. La mémoire, un lecteur de cassettes pièces détachées qu’une logique incompréhensible reliait entre elles, un écran, un clavier.  Etrange insecte. Ce n’était pas un jouet. Ca avait la gravité appartenant au monde des adultes. Jeu : voitures à friction avec S. ; parfois nous avions le droit à l’ordinateur sous la conduite de son père. Quatre ou cinq ans, l’ordinateur n’avait pas encore de nom propre.

Je me souviens d’un soir. Peut-être le jeu était-il la situation à mimer : une sorte de bataille navale ; une chasse au sous-marin : envoyer une mine sur un point de l’écran, en espérant qu’elle toucherait son but. Le sous-marin se déplace, mais nous pouvons sonder les profondeurs pour avoir une idée de l’emplacement de notre cible. Nous sommes excités, nous prenons notre tâche avec un sérieux de contre-torpilleurs, nos torpilles sont nos rires. Scruter les signes révélant l’ennemi invisible, regard cloîtré dans le cadre de l’écran, réduction de tous les enjeux. Jouer serré, ou couler. A chaque tour, le prédateur et la proie échangent leurs rôles. Nous sommes glacés par le bip du sonar, seul effet sonore, une présence à localiser. Entre les tirs, ce temps de latence, moment de suspens, avant le résultat. Ce temps est-il dédié aux calculs, ou un calcul  ?

Le sous marin n’a pas coulé.

Je me souviens aussi que chez mes grands-parents, je dessinais les niveaux d’un jeu de plateformes, peuplés de monstres, sur des feuilles quadrillées.

Level 1

col-cpc6128

128 Ko de Ram, un lecteur de disquette, des milliers de jeux

J’ai demandé à ma mère si je pouvais avoir un AMSTRAD CPC 6128, comme S. Un ordinateur démodé déjà ; le vendeur m’avait conseillé l’ATARI 520 ST. Mais je voulais jouer à ces jeux.

C’est à ce moment brutalement que les jouets ont disparu dans des caisses.

Dans ma chambre, avec D., voisin et ami d’enfance. Fruity Frank ; chaque niveau : accéleration, de moins en moins de temps pour planifier les mouvements dans des tableaux de plus en plus encombrés. Collège : nous avons grandis. La question latente finit par tomber au milieu de la bataille: « quelle est la fille dont tu es amoureux ? » Nous sommes encore ingénus. Pour se donner du courage : celui qui perd le premier avoue. Je gagne. Révélation : il est amoureux de C. ! Moi aussi ! Coup du sort ! Je lui dis ! Il me dit tout. C’est touchant. L’idéal poétique des héros de notre enfance :

fruity

Fruity Frank,le meilleur jeu du monde

Starsky et Hutch, Starsky et Hutch

Des nouveaux chevaliers au grand cœur

Mais qui n’ont jamais peur de rien

Quand il y a une fille entre les deux

Ils acceptent les règles du jeu

Mais rien ne pourra jamais briser

Une telle amitié

Rêverie. Excitation d’avoir confié; la seule partie que j’ai voulu gagner comme si ma vie en dépendait. Grâce à une instruction en BASIC, j’écris le prénom de C., qui se répète à l’infini sur l’écran.

Bonus stage : Casser un joystick Speed King, coup de pied sauté dans une rame de métro, formater une disquette 3 pouces, Amstrad Cent Pour Cent, un baiser c’est frais comme un verre de jus d’orange, le lance-flammes de Navy Moves et la décapitation de Barbarian.

Level 2

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Jetfighters never die

U. fait son entrée avec un ATARI 520 ST. On jouait aux simulateurs de vol et à Gauntlet. On se moquait aussi de lui parce qu’il avait une amourette avec la première de la classe. Je me rappelle avoir passé une après-midi de juin en compagnie de D. et de J. à les suivre discrètement pendant un de leurs rendez-vous. L’ordinateur appartenait au père, un militaire de carrière. D’où les simulateurs de vol. D. a eu une NES. Jalousie : puisque je n’étais plus l’initiateur je devais condamner. Je le regardais jouer à Megaman 2, Duck Hunt, Super Mario Bros et TMHT avec une indifférence feinte.

Echange dans la cour; grand jeu du troc universel : swap Pannini et insert disquettes. Je me faisais moins arnaquer. Je n’étais pas une fille.

Boss stage

1942, 3 D Pools, Astro Marine Corps, After The War, L’Aigle d’Or, Arkanoïd, Bad Dudes Vs Dragon Ninja, Barbarian, Batman, Beach Head, Billy la Banlieue, Bloodwych, Bomb Jack, Boulder Dash, Bubble Bobble, Captain Blood, Cauldron, Great Courts, Chase HQ, , Crazy Cars II, Dan Dare III, Defender Of The Crown, Deflector, Dragon Spirit, Fighter Bomber, Fire and Forget, Forgotten Worlds, Fruity Frank, Electro Freddy, Emilio Buitragueno Football, Exolon, Gauntlet, Ghosts’n’Goblins, Ghouls’n’Ghosts, Golden Axe, Grand Prix 500 cc, Gryzor, Karateka, Ikari Warriors, Les Incorruptibles, Iron Lord, Italy 1990, Hate, Karnov, Kick Off, Killerball, Knight Force, Macadam Bumper, Navy Moves, New Zealand Story, Nord et Sud, Operation Wolf, Pang, Paperboy, P-47 Freedom Fighter, Pick’n’Pile, Pipe Mania, Pirates, Prince Of Persia, Prohibition, Rainbow Island, Rambo 3, Rampage, Rastan, Renegade, Rick Dangerous, Robocop, Savage, Skweek, Solomon’s Key, Sorcery +, Sram, Stunt Car Racer, Targhan, TMHT, Terres et Conquérants, Titan, Total Eclipse, Trailblazer, Turrican, WEC Le Mans

Level 3

386 DX 25 Mhz pour récompenser le bon élève qui a bossé pour remporter la gloire d’un concours local de bétail d’élevage fort en thème. Fin de la pure rêverie onaniste devant Joypad, , je consomme dans ma chambre.

wing-commanderWe Create Worlds

Je pouvais tomber plus mal, Wing Commander venait de sortir.

Me voici pilote du futur, les stores baissés ; je suis décollé de la réalité. En jouant, je vis une expérience. Ca s’ouvre devant moi par la grâce expresse du silicone chaud et d’un écran de 14 pouces VGA 256 couleurs. Extérieurement, peut-être que je dépéris, taciturne en société. La réalité n’est pas à la hauteur de mon héroïsme. Je suis l’Avatar. Je suis aussi pilote de chasse, de formule 1, empereur, tout ce qui s’offre à mon regard avide dans le cadre de l’écran. J’en profite pour apprendre l’anglais en me brûlant les yeux. La nuit, avant de m’endormir, je trace des projets de jeux vidéo. La Guilde des Aventureux, aurait été une série de jeu de rôle à succès; je rêvasse à des scènes égalant un dessin animé, je suis le méconnu précurseur des Final Fantasy modernes. Je rêve aussi à des ordinateurs et à des processeurs, sombres métaphores de je ne sais quoi. J’aime perdre mon temps.

La partie farouche de mon caractère se tempère grâce au jeu de rôle, et aux copains que je rencontre.

Et puis un peu plus tard des moments merveilleux : de la vodka, de l’herbe, les Dead Kennedys, et une partie de Micromachines à deux sur le clavier du PC.

Bonus Stage

Réaliser un parfait Immelman, config.sys et autoexe.bat, utiliser chien avec tas de papier, 300 km/h dans la ligne droite à Indianapolis, un disque dur de 40 Mo et une Soundblaster, la texture des asteroïdes, je soupçonne la Fellowship…

Level 4

mm4

If you ever want to lose some time

Just take off, there’s no risk

If you ever want to disappear

Just take off and think of this

Résidence universitaire, atrabilaire, vieux PC. Might & Magic IV et V, des après-midi à accumuler les points d’expérience, enfermé. Bob Mould reprend encore « Armenia, city in the sky… » des Who. Je visite toutes sortes de lieux, où inlassablement : mon barbare hache – une large tâche de sang pixellisée, proportionnelle aux dégâts toujours plus considérables que j’inflige-, mes sorciers lacèrent l’écran d’attaques élémentales, mes archers mitraillent des flèches empoisonnées « of power of the terrible doom », je me téléporte, je flagelle tout le bestiaire de ce monde double. C’est une ivresse des chiffres, les pièces d’or et les points s’accumulent, je pille les chaudrons des sorcières, et les huttes des fées noires. Au moins, me voici conquérant. L’ivresse est un peu abasourdie. Bonne défense contre ce qui m’entoure, j’ai retrouvé mon armure magique.

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Je suis un gagnant

NHL 97. Mes potes canadiens se charriaent sur NHL 95, eux. Je joue seul. Je me suis sans doute trop entraîné. Quand je peux jouer avec quelqu’un, ce n’est pas équitable. Le jeu est moderne, « réaliste ». Les joueurs ont un visage je joue avec les New York Rangers. J’aime cette ville. J’aime le capitaine des Rangers, Mark Messier, une vieille gloire déjà, air de gagnant cocaïné, les yeux brillants chauve, j’aime aussi Brian Leetch le défenseur dont la grande vitesse est adaptée à ma tactique, j’aime le Suédois dont j’ai oublié le nom, doublure de mon capitaine (le hockey, sport épuisant, se joue en faisant tourner les joueurs), j’aime Luc Robitaille, le géant canadien à l’air idiot. Je joue saisons après saisons, j’enchaîne les scores disproportionnés, je bats des records. Ma technique est simple et brutale. Je joue le contre. Messier, à la limite du hors-jeu, lancé d’une passe de Leetch fulgure vers le but. Et puis une feinte. Je l’ai répétée tant de fois, que j’ai encore le geste dans la main. Au clavier : clics rapides sur haut pour accélerer, gauche, le gardien plonge, droite, tir, but. La question n’est pas de savoir que le jeu est biaisé. Il faut que je mette des buts. J’ai encore le geste dans la main.

Level 5

Franchement ce n’est plus une vie. Bien considéré ce texte est une allégorie masturbatoire transparente, peut-être le secret de ce mouvement des mains que les garçons se réservent. Alors oui, j’ai vaincu et j’ai perdu, je suis mort inombrablement et j’ai vécu ce que je ne saurais jamais vivre, je me suis libéré par la contrainte, en fuyant de prisons, de temples, pour aller dans la forêt chercher le pistolet laser d’enchantement, en rampant ou en ballon, j’ai vécu un peu partout sous tous les formats. J’ai fait 400 fois les 400 coups, la tournée des grands ducs d’Alpha du Centaure à la Colline du Péril inclus, j’ai eu des oreilles rouges et pointues, des yeux globuleux parfois, et surtout les pieds palmés, je pourrais en témoigner, j’ai menti et j’ai tout avoué sous la torture ou par le charme.

Je suis un enfant gâté, tendrement élevé en Nerdistan.

Je vous raconterai ça une autre fois.

NB : ce texte a été écrit en 2005 à l’occasion du concours Souvenirs de gropixeliens; la version présente est légèrement remaniée, mais rien d’essentiel.

Written by Martin Lefebvre

4 février 2009 à 20:28

Publié dans Divagations

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